" Hospital, c'est d'une certaine façon le contrechamp obligé de Welfare. Le Welfare Center gère la misère sociale des chômeurs, des mères abandonnées, des nécessiteux et des malades. Le film est fait d'attentes et de longues et patientes négociations d'individus avec l'assistance publique pour se faire, reconnaître leurs droits, pour le calcul du coût minimum de la reproduction sociale de leur force de travail, Welfare est exemplaire par cette concentration de tous les aspects de la misère aux U.S.A., réunis en un lieu unique, dont la fonction est aussi d'exhiber, pour la société, ces tares de I'American Way of Life, d'en dénombrer les types, d'en écouter les plaintes.
C'est la même population de gueux, qu'on retrouve dans Hospital (s'ils ne l'étaient pas, ils iraient en clinique), du point de vue médical, à travers leur corps malade : cardiaques, diabétiques, cancéreux, alcooliques, drogués, suicidés, accidentés et égorgés, qu'on débarque là parce qu'ils ont un besoin urgent de soins, qu'il y va cette fois de leur vie, du principe biologique, non du cadre économique de leur survie. La preuve de leur mal n'est plus à faire, à chercher dehors, ils la portent en eux et l'institution opère à même les corps : la séquence d'ouverture du film sur une opération chirurgicale, avec la rapidité et la précision des gestes des praticiens à ouvrir la chair, nous propulse d'emblée dans le vif du sujet. Autant Welfare est un film bavard, de plaignants, autant Hospital est d'abord une succession muette de corps implorants qui parlent de leur souffrance par les signes de cette souffrance, auxquels le corps médical répond par des diagnostics et des actes.
De corps à technique, la langue n'est ici qu'instrumentale, enregistrement d'informations, la bienveillance générale du personnel soignant envers les patients est exempte de toute démonstration de tendresse, le savoir technique s'y oppose.
Autant le médecin encourage les aveux de l'homme angoissé par l'hypothèse d'un cancer, autant ses collègues ont vite dissuadé une infirmière d'adopter un enfant noir accidenté. La fille qui tient la main de sa mère pendant un massage cardiaque intervient pas et sa présence est tout autre que celle des mains et outils qui s'affairent devant elle et se confondent dans une même finalité mécanique.
La froide objectivité de la manutention des corps n'apparaît pas distinctement dans la relation du médecin au malade (où subsiste encore un échange). Elle est imposée par le rythme du travail, par sa masse, par la succession des actes et des examens, par la suite des services, le défilé continu des urgences, ce va-et-vient incessant de nouveaux malades et du personnel qui ne tolère aucun repos, aucune pause.
Au niveau microscopique, elle oppose au magma haletant des organes qui sortent de la chair béante, les gants du chirurgien, les ciseaux et les pinces, à une partie infime et intensément vive du corps tout un dispositif architectural, machinique et humain hautement complexifié. A votre service, du mieux qu'elle peut et sans plus (au-delà commencent l'initiative et la responsabilité humaines).
L'aberration du règlement du Welfare Center, n'allez pas en chercher la preuve dans Welfare, vous n'en aurez jamais la démonstration interne. Celle-là viendra de l'extérieur, comme de sa victime ; c'est dans Hospital que vous la trouverez, quand un psychiatre qui demande l'assistance pour un travesti schizophrène se voit raccrocher le téléphone au nez et renvoyer à la maman. Cette conversation qui tourne court est précisément un des rares dialogues soutenus dans Hospital. "
Yann Lardeau, 12/1981