" A grandes enjambées et au son d'une étrange fanfare, un homme ne finit pas de parcourir un immense couloir. Que cherche-t-il, que veut-il, cet avocat américain fraîchement débarqué à Stuttgart ? Tempes grisonnantes et regard fatigué, il semble en quête d'une vérité essentielle, capitale, le long de l'interminable couloir sombre, loin de chez lui, dans cette ville sinistre. Pour un peu, le film de Jerry Schatzberg commencerait comme un polar. Avec ce plan fixe sur l'homme de dos, qui marche, avec cette profondeur de champ inquiétante. Lieux étranges, tel cet obscur garde-meubles où sont entassés les objets que personne jamais n'est venu récupérer : derniers restes de familles définitivement éteintes, oubliées. Le suspense, alors, se dénoue : c'est simplement sa mémoire, ses émotions d'autrefois qu'Henry Strauss est venu retrouver. Et, tout particulièrement, cet ami de collège, Konrad von Lohenburg, qu'il n'a jamais pu oublier. Qu'est-il donc devenu ?
Publié dans les années soixante, le roman de Fred Uhlman connut un triomphe. Il racontait avec pudeur, à demi-mots, l'amitié d'un adolescent juif pour son copain de classe, bel aristocrate « aryen ». (…) Difficile d'adapter une histoire si pleine de connivences secrètes, de pudeur et de simplicité. Jerry Schatzberg, malgré toutes ses bonnes intentions, ne peut éviter quelques pesanteurs du trait, quelques scènes trop forcées : celle où des nazillons envahissent bruyamment une guinguette : celle où le professeur, nazi lui aussi, vitupère au lycée...
Mais d'autres séquences sont bouleversantes, Quand le père juif de Hans pose devant sa porte en soldat de 14-18, pour prouver aux nazis qu'il reste, avant tout, un Allemand. Quand on le voit aussi s'humilier devant le jeune Konrad et qu'on devine combien son fils en souffre. Quand les parents de Hans, enfin, décident de se suicider, sans bruit, en pleine nuit...
C'est dans ces scènes quasi muettes, ces images en miettes arrachées à la mémoire, que le film est le plus réussi. On reconnaît alors le talent de Jerry Schatzberg à saisir l'émotion brute. Et celui d'Harold Pinter à traquer l'inconscient des gestes, le non-dit des âmes.
Quand elle s'avise de « démontrer », de « discourir », la mise en scène devient pesante. Ainsi l'utilisation constante des flash-backs, l'intégration d'images d'archives, la gradation des couleurs pour exprimer le passage du présent au passé. Sans compter les interminables séquences que Hans observe, en 1989, sur le petit écran de sa chambre d'hôtel : le procès reconstitué des officiers opposés à Hitler... Mais comment en vouloir à Schatzberg ? Il s'est pris à son propre jeu. Racontant l'histoire de Fred Uhlman, il a voulu mener sa propre enquête en Allemagne et a fini par se confondre avec le personnage principal. "
Fabienne Pascaud, 17/05/1989
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L'Ami retrouvé