Si vous entendez comparer ce film à un autre, dites-vous bien que c’est une erreur. « L’énigme de Kaspar Hauser » est une oeuvre unique par son inspiration, par sa réalisation, par son interprétation.Déjà dans « Aguirre, la colère de Dieu », Werner Herzog avait renouvelé complètement le genre du film dit d’aventures. Ici, il conte une histoire hors série avec des moyens qui lui sont propres et en utilisant la personnalité d’un interprète si proche du personnage, que sans lui, on peut penser que le film n’aurait jamais été tourné. Il s’agit donc de la rencontre d’un cinéaste, d’un sujet qui s'est imposé à lui et d'un Individu destiné au rôle.Kaspar Hauser a existé.
En Allemagne, une littérature énorme lui est consacrée. Ce garçon attardé, ne sachant pas ire, pouvant à peine parler, incapable de se mouvoir normalement, a été découvert un matin, immobile, au milieu de la grand-place de Nuremberg, le dimanche de la Pentecôte de l’année 1823. Il était d’une saleté repoussante, et fut enfermé dans la tour du château de Nuremberg. Interrogé longuement, il fit comprendre avec peine que jusque-là, il avait vécu enchaîné, dans un sombre cachot, sans aucun contact avec l'extérieur, sans savoir qu’autour de sa prison, il y avait un monde, une vie, de la lumière, de la joie. Qui l’avait libéré ? Il prétendait que c’était un homme brutal, et c’est tout ce qu’il pouvait dire. Un homme qui sans doute avait voulu se débarrasser de cet infirme mental, dont on ne pouvait rien tirer.
Pour ne pas que son entretien grève le budget de la ville, on l’avait exposé dans une baraque foraine. Puis, il avait été recueilli par un généreux bienfaiteur, le professeur Daumer. au contact de qui il s’était métamorphosé. Il était devenu une manière de vedette, mais sans qu’on ait bien compris pourquoi, il fut victime de plusieurs attentats dont le dernier fut mortel.
Au sujet de sa véritable identité, on a avancé encore plus d’hypotheses que pour notre Masque de Fer. Mais on s’interroge toujours et cela n’a plus de rapport avec le film qui ne s'intéresse pas au phénomène historique, mais au cas particulier de cet homme à l’état brut, que n’a contaminé aucune civilisation. Il est victime parce qu’il n’est pas comme les autres. Nous vivons dans une société qui n’aime pas les originaux, qui détruit ceux qui nejouent pas le jeu, une société qui broie ou qui rejette.En outre, et peut-être surtout, le décalage entre la réalité historique et la fiction résulte du choix de l’interprète qui est beaucoup plus âgé que le personnage réel.
Kaspar était un adolescent. Bruno S. qui le joue, a plus do 40 ans.
Mais Bruno a eu une destinée comparable à celle de Kaspar. Il tut interné à trois ans dans un établissement pour malades mentaux et là, complement abandonné. Jusqu’en 1938, sa vie n’est qu’une longue succession d’evasions et de réinternements. Travaillant aujourd'hui dans une usine de Berlin, son cas avait intéressé un réalisateur de télévision qui lui avait fait jouer un film semi-autobiographique « Bruno le noir ». Herzog l’avait vu et c’est cela qui avait déclenché le démarrage de « L’Enigme de Kaspar Hauser ».
Pour bien marquer ses distances avec la reconstitution historique, Werner Herzog a mis au début du film une séquence onirique qui n’a aucune justification, aucune signification. Peut-être est-ce une manière de faire comprendre que le film a sa propre vérité, qui n’a rien à voir avec la pâle réalité.
Le vrai cinéma impose au spectateur une manière de suivre un récit à travers la sensibilité du réalisateur. Quel que soit le sujet abordé par Herzog, on sait que l’on retrouvera son univers, parce que c’est un cinéaste qui a son génie propre.
Robert Chazal, 15/05/1975