... le film très attendu de Jean Delannoy fut hier soir présenté à Cannes devant une salle comble et passionnément attentive.
Il demeure assez malaisé de résumer l'intrigue de la Symphonie pastorale sans trahir la pensée d'André Gide, pensée en perpétuel devenir, qui se cherche, paraît désavouée par soi, trouve dans ses incertitudes le critère de sa sincérité et dont aucun moment ne peut être tenu pour négligeable.
Premier mérite de Jean Delannoy : il n'a pas cédé à la tentation de styliser ses personnages et, sauvegardant leur complexité psychologique, n'a pas amenuisé leur richesse intérieure ni l'angoissante et perpétuelle quête d'eux-mêmes qui les arrache au néant. C'était une gageure : le cinéma peut-il, dans ses instantanés, dérouler sans heurt le film de vie intérieure sans en figer gauchement l'incessante mobilité, sans rester toujours à l'extérieur du vrai débat, peut-être ineffable parce que confus, même pour celui chez qui il se joue ? On connaît le thème du récit : ayant découvert dans une chaumière isolée au milieu des neiges une orpheline aveugle, le pasteur d'un village de montagne adopte l'enfant et entreprend de l'éduquer. Gertrude, c'est son nom, grandit, embellit, et la nuit de son regard s'éclaire de la ferveur qu'elle voue à l'homme d'église. Celui-ci croit n'éprouver pour la jeune fille qu'une affection très pure, mais Amélie, sa femme, pressent qu'il s'y mêle autre chose. Leur fils Jacques, promis à Piette Casteran, fille d'un industriel de la région, éprouve aussi pour l'infirme une forte attirance.
L'aveugle recouvre la vue. Son premier regard retrouve en Jacques l'apparence qu'elle prêtait au pasteur, et tout naturellement elle tombe dans ses bras. Une à une, ses illusions s'évanouiront comme le voile qui lui cachait la lumière, et cela entraînera autour d'elle de tragiques conséquences : pour Piette d'abord, qui perd son fiancé; pour Jacques ensuite, que son père veut dissuader d'épouser Gertrude ; pour celui-ci, qui prend conscience de son amour égoïste (son fils le lui criera à la face avant de quitter le foyer); pour Amélie, folle de douleur et qui, avertie de ce qui se passe dans le cœur de son mari, va le reprocher haineusement a la jeune fille; pour cette dernière enfin, dont on retrouvera le corps au lever du jour dans l'eau glacée du torrent. Dernière image: éperdu de chagrin, le pasteur fermera les yeux fixes de la morte, comme pour retrouver avec leur nuit l'amour aveugle qu'elle éprouvait "pour lui avant d'avoir vu ses traits.
Le public du festival de Cannes a réservé hier soir au metteur en scène de cette œuvre aussi difficile que belle une ovation que lui méritent surtout, selon nous, sa probité de réalisateur, le choix qu'il fit d un sujet a priori sévère, le métier dont il a fait preuve en l'adaptant et la sobriété dépouillée d'artifices de cette adaptation. Ceci dit, et à quoi nous souscrivons bien volontiers, la Symphonie pastorale n'a pas fini de susciter mainte discussion, et elle appelle, à notre avis, de sérieuses réserves.
La plus grave concerne l'interprétation de Pierre Blanchar : grandiloquent, les maxillaires contractés, l'œil d'une fixité de chouette, usant et abusant de procédés dont l'écran n'a que faire, forçant tous les effets, ne nous faisant grâce ni d'un soupir ni d'un trémolo, visiblement affligé des le début du -film du tour que prendront longtemps après les événements, il passe avec une imperturbable assurance à côté du rôle magnifique qui lui était dévolu. Comme il ne quitte pour ainsi dire pas l'écran, on laisse à penser ce que le film y perd.
Autre reproche : il est bien évident, certes, que l'œuvre de Gide, puritaine, austère, boutonnée jusqu'au col, ne se prête guère aux débordements ni aux épanchements, mais sous la laine des fichus, sous la bure des pèlerines, battent à se rompre des cœurs dont j'ai parfois vainement tenté de surprendre le rythme au cours d'un film dépouillé à l'excès des signes de celte tension.
Delannoy paraît toujours rester étranger aux scènes qu'il tourne; ce qu'il fait est orthodoxe, consciencieux, mais ne laisse aucune place à la surprise technique ou artistique.
Michèle Morgan est bouleversante de simplicité et de foi ; nous ne sommes pas près d'oublier celte silhouette menue ni ses longs yeux d'eau vive où passent des reflets, des images, puis la mort. Line Noro est une grande actrice profondément humaine et sensible. Jean Dessailly joue comme il vivrait. Andrée Clément, au regard de braise, affirme l'étonnante nature que nous lui connaissions depuis peu.
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La Symphonie pastorale
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