" Les premières images de Manoeuvre ne sont pas sans nous rappeler celles que nous avons vues dans Basic Training. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus d’apprentis soldats. La conscription a été supprimée, et les militaires que nous voyons dans Manoeuvre sont des professionnels…
Depuis une base de Louisiane, Wiseman suit une compagnie de blindés aéroportée qui va participer aux grandes manoeuvres d’automne de l’OTAN, en Allemagne Fédérale.
C’est l’époque où Zbigniew Brzezinsky, conseiller du Président Jimmy Carter, parle d’une " nouvelle guerre froide ". Là-bas, de l’autre côté du " rideau de fer ", il y a les troupes du Pacte de Varsovie : dix ans plus tôt, elles ont envahi la Tchécoslovaquie qui avait rêvé d’un " socialisme à visage humain "…
Les civils allemands suivent de loin les opérations. Certains, qui ont vécu la guerre de 39-45, disent qu’ils ont préféré l’occupant américain à l’occupant russe. On s’en doutait un peu…
Avec Manoeuvre, nous nous trouvons dans la position de Fabrice à Waterloo dans La Chartreuse de Parme. Nous ne voyons qu’un aspect limité de l’action générale, en suivant en direct le quotidien banal d’un petit groupe de soldats : leurs problèmes de communication et de matériel, leurs rhumes, leurs goûts musicaux, leurs prières, leurs engueulades. Guère d’idéologie dans leurs propos. On parle formation, salaires, carrière, boulot, conditions de travail. Le métier des armes est un métier comme un autre, ou presque.
" Dans une vraie guerre, il y a longtemps que vous seriez éliminés! " lance un " contrôleur " noir à un tankiste.
Le lendemain matin, soldats américains et Allemands sont au coude à coude. On étudie la carte avant de se séparer cordialement : " Happy war ! "
L’intérêt rétrospectif du film Manoeuvre dépend, pour une bonne part, de notre connaissance de l’histoire du XX ème siècle.
Ce que personne ne sait à l’époque, c’est que le Mur de Berlin et " l’empire du mal " n’ont plus qu’une dizaine d’années devant eux.
En 1978, l’Union Soviétique apparaît encore comme une puissance menaçante. C’est aussi l’époque où un certain cardinal polonais, Karol Wojtyla est élu pape à Rome. Bien entendu, rien de tout cela n’apparaît, de près ou de loin, dans le film de Wiseman.
" Le Pentagone doit être content, écrit un journaliste, les soldats américains ont beau avoir le langage le plus ordurier qui soit, ils se révèlent intelligents et travailleurs… " (TIME, 24 Mars 1980)
Les soldats de Manoeuvre sont des professionnels. Les officiers, qui sont les " cadres " de cette entreprise, ont leur jargon professionnel. Après un tir virtuel, l’un d’eux parle de " high probability of kills ". Il n’y a guère d’idéologie dans les propos. On parle formation, salaires, carrière, boulot, conditions de travail. Le métier des armes est un métier comme un autre, avec sa routine. On oeuvre dans son coin en essayant de ne pas commettre d’erreur, parfois en ne comprenant pas ce que font les autres. On est tantôt félicité, tantôt engueulé sans trop savoir pourquoi…
La logique qu’on a vu poindre dans High School et se confirmer dans les films suivants se précise ici sur le terrain : on entraînait " naguerre " des adolescents à l’obéissance inconditionnelle, vertu militaire. A présent, les soldats professionnels ont gagné le droit de jouer à une guerre " en vraie grandeur ", mais pas " pour de vrai ".
Et quoi qu’il arrive, l’armée, comme tant d’autres institutions, est à elle-même sa propre fin. "
Philippe Pilard