Ici, point besoin de grandiloquence pour raviver l’esprit de Macbeth sur le grand écran. Avec un micro budget (500,000£), The Young Lady fait un macro effet, plus en tout cas que la récente version avec Mario Cotillard et Michael Fassbender, boursouflée et ronflante. Certes, ici il ne s’agit point d’une nouvelle adaptation de l’œuvre de Shakespeare, mais plutôt d’une adaptation de Lady Macbeth du district de Mtsensk (Nikolaï Leskov, 1865), une variation très lointaine de l’œuvre de l’artiste élisabéthain, sans monarque ni royaume à conquérir, mais dans laquelle souffle une brise shakespearienne glaçante, dans la sollicitation des ressorts des tragédies du dramaturge. Le titre original du film n’est-il pas… Lady Macbeth ? Pour son premier long, William Oldroy, metteur en scène de théâtre, choisit donc un décor victorien pour disséquer les frustrations de l’épouse du XIXe siècle anglais. Comme chez Hardy dans The Mayor of Casterbridge, devenu en salle The Claim - Rédemption, de Winterbottom), la jeune femme, vendue par sa famille, devient un corps à troquer, que va s’arracher une phallocratie sur le déclin, en danger, et par conséquent d’autant plus odieuse. Dans le film, les luttes de pouvoir autour des femmes sont indépendantes du milieu social. De la bourgeoisie locale aux palefreniers, la femme est traitée comme esclave du père, au beau-père, en passant par le fils, et devient même « truie » de jeu pour la main-d’œuvre masculine du domaine. Les dialogues à ce sujet font par moment froid dans le dos.
Aussi, The Young Lady démarre avec un exercice de destruction, celui de la jeune nubile. Contrainte au mariage, amenée à dépérir dans un environnement patriarcal où, pour marquer sa domination, l’homme n’a, dans un premier temps, aucun visage, le cinéaste préférant se focaliser sur les émotions qu’exprime le visage de la femme-enfant. Ses traits laissent poindre l’étonnement, la déception, la peur, la lassitude, l’étouffement, chez cette adolescente qui va devoir grandir très vite, et perdre son innocence dans d’effroyables situations. Elle vit le quotidien dans l’attente, le silence, la frustration, et doit surmonter les moments déshonorants du partage de sa couche avec son ennemi. Dans cette existence de souffrance psychologique, l’aliénation ronge : une fraîcheur qui se ternit, dans l’ombre d’une existence vécue pour rien. La douleur est physique, le corset à serrer au-delà du raisonnable pour le décorum domestique devient le symbole du joug de l’homme sur sa propriété. La jeune Katherine, avide de vie, s’atrophie dans le peu d’éclat d’une existence sans passion. Jusqu’au jour où la tentation de l’adultère la pousse à prendre son destin en main. Les desseins seront meurtriers. La vengeance sera assénée de façon froide, cruelle, alors que le personnage de Katherine, qui s’empâte avec le bonheur d’aimer enfin, jette son dévolu sur un bourrin sans statut, dont la rugosité de condition comblera ses fantasmes de femme à secouer. Devenue manipulatrice, The Young Lady prend son destin en main et se soustrait à la domination de l’homme, transformant habilement son bel amant en objet sexuel à dévorer crûment.
Avec une rigueur de cadrage qui relève de l’ascétisme, William Oldroyd parvient en 1h30 à rendre l’évolution psychologique vraisemblable, même si certains rebondissements macabres, très littéraires, desservent à la longue une narration qui n’avait pas besoin d’autant de noirceur pour être pertinente. Cette vision pervertie de l’univers romanesque de Jane Austen se rapproche souvent du sous-texte de Tess d’Urbeville, encore un autre roman de Hardy mis en scène par Polanski. Dans son utilisation scrupuleuse des décors, son approche picturale du roman et la composition bluffante de Florence Pugh, magistrale apprenti Macbeth, The Young Lady est une œuvre passionnante qui se déguste sans modération.
Frédéric Mignard, 11/04/2017
18569323 au sujet de
The Young Lady
16365241 au sujet de
The Young Lady
9130920 au sujet de
The Young Lady
8914455 au sujet de
The Young Lady
16853291 au sujet de
The Young Lady